mercredi 24 août 2016

L’économie numérique, danger pour la classe moyenne

La généralisation de l'économie numérique a conduit à la sacralisation du prix, qui est plus que jamais devenue la porte d'entrée de toute transaction commerciale. Pour choisir sa destination de vacances, un nouvel ordinateur ou un vêtement, la fréquentation d'un comparateur de prix est désormais incontournable. Au point de ridiculiser celui ou celle qui admettrait ne pas consommer de la sorte.
Cette tendance au toujours moins cher s'insère dans tous les pans de la vie quotidienne, jusqu'à rendre suspect l'affichage d'un prix non sacrifié. Et l'économie dite « du partage » accentue le phénomène. Même si on semble ne pas vouloir comprendre qu'un hôtelier ayant des salariés, et d'inévitables frais de structure, est soumis à des dépenses que n'a pas un particulier qui sous-loue son studio. Et qu'un automobiliste qui partage sa voiture sera toujours meilleur marché qu'un professionnel patenté du transport.
Acheter de manière raisonnable
A déconsidérer le prix, on mine la notion de valeur qui est associée au bien ou au service concerné. Cette posture est certes confortable dans la position de l'acheteur, qui semble mener la danse. Mais elle l'est moins quand on se trouve en tant qu'offreur pris dans cette spirale des enchères inversées. Or, pouvoir être un consommateur suppose d'être capable de générer des revenus. Donc que la rémunération de sa propre activité n'ait pas été réduite à néant. Certes, les salariés d'aujourd'hui tirent encore parti de ce système, mais au prix de quels renoncements débuteront les nouveaux entrants dans le monde professionnel ?
Même quand il est question de monétiser la navigation de l'internaute, par exemple avec les médias gratuits financés par la publicité, les annonceurs regardent attentivement le profil - et donc la solvabilité - desdits internautes... en considérant qu'il est vain de cibler des personnes dont le salaire ou la localisation géographique les empêcheraient d'être des consommateurs dignes d'intérêt.
Il devient urgent que les citoyens-consommateurs comprennent le mécanisme d'élaboration d'un prix pour aborder leurs achats de manière raisonnable. Le salaire décent auquel chacun aspire ne peut trouver son financement dans une quasi-gratuité systématisée. En outre, la marge constitue le fondement des investissements futurs et des réserves permettant de traverser les inévitables aléas de la vie des affaires. Sans elle, l'avenir est moins préparé et la première difficulté peut s'avérer fatale.
Source : http://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/0211222711404-leconomie-numerique-danger-pour-la-classe-moyenne-2022418.php?kupbRyFzzxifW6MZ.99#

jeudi 23 juin 2016

Les fossoyeurs de l’industrie française : le cas Christophe Février

Le 31 mai 2016, passait à la barre du tribunal correctionnel de Paris un personnage au profil inhabituel pour un tel lieu. Christophe Février est en effet un entrepreneur autodidacte, officiellement à la tête d’un groupe pesant plus de cent millions d’euros, plus particulièrement connu pour avoir racheté la célèbre marque Backchich.info. Mais à creuser le profil d’un individu très discret au parcours atypique, rien de surprenant finalement à le voir dans le box des accusés.

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Condamné en 2015 à un an de prison, 50 000 euros d’amendes et à l’interdiction d’exercer tout mandat en entreprises pour faux, usage de faux et escroquerie, Christophe Février a été relaxé au cours de cette audience, faute de preuves suffisantes de l’intention délictueuse. Pourquoi cette première condamnation particulièrement sévère ? Qui est Christophe Février ? Il est très difficile de connaitre avec précision l’étendue exacte des affaires de M. Février, tant il s’ingénie à brouiller les pistes susceptibles de remonter jusqu’à lui. Mais une constante demeure : Christophe Février semble transformer l’or en plomb avec une régularité de métronome. Quasiment toutes les entreprises ayant eu à subir l’intervention de M. Février ont aujourd’hui disparues, leurs salariés licenciés et les locaux, vidés de tout ce qui avait de la valeur, sont à l’abandon. Retour sur un « entrepreneur », qui apparemment fait surtout travailler Pôle Emploi.

De l’allure et de l’audace

Christophe Février est à l’aise dans son rôle d’entrepreneur, même à la barre d’un tribunal correctionnel, cela se sent. Le ton est posé, le discours concis et précis. L’habitude peut-être de devoir se justifier sur son statut. Il est vrai que Christophe Février s’est fait tout seul, sans l’étiquette d’une grande école de commerce. Dirigeant de société depuis ses 24 ans, l’intéressé affirme être aujourd’hui à la tête d’un conglomérat de plusieurs sociétés, représentant près de 300 salariés. Il sait bien, comme le veut l’adage, qu’au-delà d’un certain chiffre, tout le monde devient sérieux. Alors il avance son chiffre d’affaires sans hésiter : 135 millions d’euros de CA cumulés. Clairement, M. Février n’est pas un client ordinaire pour un tribunal correctionnel.

On peut pourtant trouver Christophe Février modeste : si ses chiffres sont corrects, il « pèse » au bas mot plusieurs dizaines de millions d’euros, au titre de la valorisation de son groupe par rapport à son CA. Pourtant, il affirme ne déclarer « que » 86 000 euros annuels au fisc. Le tribunal tiendrait-il là un exemple de patron « raisonnable », mesuré dans la rémunération qu’il s’octroie ? Le tribunal correctionnel de Paris n’aura pas la réponse, et d’ailleurs il ne s’est pas posé la question, convaincu qu’avec un tel chiffre d’affaires, on ne s’embarrasse pas d’une escroquerie grossière pour quelques dizaines de milliers d’euros. Dans les hautes sphères économiques où semble évoluer M. Février, on ne se salit pas les mains pour des pourboires. Et si tout cela est vrai, la cour est peut-être même en face d’un self-made comme la France en produit peu.

Illusionniste administratif

Sauf que rien de ce qui a été dit n’est vérifiable, et que l’intéressé le sait pertinemment. Il a d’ailleurs tout fait pour qu’il en soit ainsi. Même ses différentes biographies (ici ou ici) ne sont pas tournées de la même manière. Christophe Février a poussé l’art du camouflage jusque dans ses derniers retranchements : dissimulation, confusion, prête-nom, hommes de paille, sociétés-écrans, boites aux lettres, coquilles vides… tout le vocabulaire des pratiques économiques « grises » y est passé, selon une méthode qui a fait ses preuves depuis des années.

L’audience de ce mois de mai 2016 n’échappe pas à la règle : faute d’avoir pu faire jouer le vice de procédure, une ficelle un peu grossière pour le procureur, M. Février se décharge sur un sous-traitant, qu’il l’aurait floué, lui, au même titre que son client. Le sous-traitant en question, une entreprise indonésienne, a disparu. Pratique. Des archives sur ce sous-traitant ? Détruites, lors de la dissolution-confusion en 2012 de la société de M. Février, Groupe Second Marché, au sein d’OHE (Omega Holding Europa) GmbH, société de droit allemand, dirigé par un certain Michel Hamon.

C’est là que les choses se corsent, pour celui qui veut comprendre la petite mécanique cachée derrière les apparences. Christophe Février évoque bien un certain « Michel », qu’il refuse de dénoncer, comme le véritable responsable de cette escroquerie supposée, aux côtés de l’entreprise indonésienne. Coïncidence ? Peut-être. On notera tout de même que la société allemande OHE en question a procédé à au moins une autre dissolution-confusion : celle de la société Eco Services, qui, par un hasard extraordinaire, est sise à la même adresse qu’une autre société de M. Février : la SCI Montagnes Investissement. La coïncidence est troublante cette fois, d’autant que l’adresse en question est un immeuble d’habitation. Michel Hamon a été par ailleurs dirigeant de la société Winsite (société française cette fois) qui a absorbé, toujours par dissolution-confusion, la société GEO PLC, société qui a eu pour président… Christophe Février. Bref, le conglomérat de M. Févier semble tourner en circuit fermé, et les soi-disant partenaires et sous-traitants « étrangers » pourraient bien, en réalité, tous appartenir de près ou de loin à la galaxie Février.

Rien d’illégal pour l’instant, mais une troublante volonté de brouiller les pistes, car M. Février se garde bien de porter ces éléments à la connaissance de la Cour. Et peu importe au fond ces éléments qui n’ont été relevés par personne : M. Février fait surtout valoir qu’un arrangement et une indemnisation a de toute façon eu lieu avec la partie civile. Pour un « innocent auto-proclamé », M. Février est tout de même très arrangeant avec les plaignants. Une façon d’éviter la mauvaise publicité d’un procès ?

Sa réputation comme seul actif de valeur

Dans l’univers de M. Christophe Février, il n’y a en effet qu’une seule chose qui tient encore debout : sa réputation d’entrepreneur-sauveur, repreneur de la dernière chance d’entreprise en difficultés. Mais si les entreprises concernées ont eu un jour une chance de redressement, c’était avant que M. Février ne s’en mêle. Toutes les entreprises passées entre les mains de Christophe Févier sont aujourd’hui, au mieux, en difficultés, au pire, totalement sinistrées. De la fromagerie Paul Renard à Flogny-la-Chapelle, à Plysorol à Magenta, en passant par le plâtrier Sort et Chasle à Nantes, Façonnage Mercure à Roubaix, Tecsom à Glaire, Socratt Ingénierie à Mitry-Compans, Documentis… pas une PME qui ne soit aujourd’hui au bord de la liquidation ou purement et simplement disparue. On pourrait ajouter à la liste les TPE Vectamail, Meca industries, MGN, MPI, Aude Précision, Metal Fab, Méca Pieces… Le tableau de chasse de Christophe Février tourne au jeu de massacre, et son « groupe », sur lequel il bâtit d’impressionnants dossiers de reprise pour les tribunaux de commerce, est majoritairement composé de cadavres d’entreprises et de carcasses industrielles.

Mais, si M. Février était bien présent aux côtés de divers préfets venus à chaque « reprise », son nom n’apparait plus nulle part le jour des liquidations. Entre-temps, de changements de siège social en remplacements de gérants, le système Février l’a mis à l’abri derrière une montagne de procédures, comme seule notre administration sait en produire. Question de réputation toujours. Dans un monde économique en perpétuelle accélération, le plus grand allié de Christophe Février est l’incapacité des tribunaux à vérifier ses dires et ses comptes. S’il n’y avait pas tant d’emplois et donc de « vies » en jeu, on pourrait saluer le talent de Christophe Février à se jouer du code des sociétés, en toute légalité.


Le problème est que l’histoire n’est pas finie : M. Février est encore propriétaire, à distance, de plusieurs sociétés loin d’être en bonne santé, comme Valentin-Thierion à Epernay. Des dizaines de salariés risquent leurs emplois, pour des motivations qui restent encore à éclaircir : pourquoi cet acharnement à détruire des entreprises que Christophe Février se propose à chaque fois de reprendre et de redresser ?

Source : http://bellaciao.org/fr/spip.php?article151063

mardi 14 juin 2016

Une loi spéciale exonère explicitement l’UEFA et toutes ses filiales françaises de tout impôt

L’ « euro » mérite bien une chronique, surtout vu le tour très violent qu’il a pris ce week-end du côté des supporters...
La cérémonie d'ouverture de l'Euro 2016 au stade de France
La cérémonie d'ouverture de l'Euro 2016 au stade de FranceCrédits : L'EST REPUBLICAIN - Maxppp
Ca n’est pas tous les jours, vous en conviendrez mais il me semble que, même de la part de quelqu’un comme moi qui s’intéresse très modérément au sport (en tout cas au « sport télévisé »), et même sur notre respectable antenne qui est l’une des rares où le ballon rond n’ait pas envahi les journaux d’information, l’ « euro » mérite bien une chronique, surtout vu le tour très violent qu’il a pris ce week-end du côté des supporters. Un mort à Nice, fût-ce par accident, de dizaines de blessés à Marseille, dont l’un entre la vie et la mort, et des scènes de bagarre et de destruction en centre-ville absolument inouïes : on ne peut pas vraiment dire que l’affaire soit bien engagée, ni d’ailleurs, plus généralement, que la vieille thèse du sport comme délicieuse fête collective et comme paisible catharsis trouve son compte dans ces premiers jours de compétition. Mais, au-delà de ce constat d’évidence, il faut aussi, pardonnez-moi de succomber à mon atavisme économique, parler gros sous. Car l’on n’est pas non plus, sur le terrain financier, dans la situation exquise qu’on nous avait promise…

 Faites-vous ici allusion aux surcoûts liés aux violences des derniers jours ?

Pour partie, oui, mais pour partie seulement. Certes, les débordements de ces derniers jours ne peuvent pas ne pas s’accompagner d’un renchérissement de toute l’opération pour l’Etat, qui dit contrôles et protections supplémentaires dit forcément mobilisation accrue et, donc, dépense en plus, en hommes et en matériel - et puis les dégâts devront bien être réparés. Mais ce surcoût (dont vous remarquerez au passage qu’on ne nous a jusqu’alors pas du tout parlé) n’est qu’un tout petit élément dans un bilan global de l’euro qui, hélas, sera terriblement négatif pour l’Etat, et même pour le pays au sens large. Cela peut évidemment surprendre, on sait qu’avec plus de 100 millions de téléspectateurs par match (et il y en a désormais 51 au lieu de 31 auparavant), le championnat d’Europe des nations est l’un des événements sportifs les plus suivis au monde – en fait, il se classe en troisième place derrière les jeux olympiques et la coupe du monde de football. Et puis le budget de cette enlevée de boutique, trois milliards d’euros, tout de même, laisse à penser que le pays organisateur devrait normalement s’y retrouver. En réalité, aussi curieux que cela puisse paraître, il y a, dans cette affaire, un gagnant certain, l’UEFA, de probables gagnants, les sponsors, mais aussi un partenaire perdant à tous les coups, et c’est l’hôte de la compétition…
Source : http://bellaciao.org/fr/spip.php?article150962