Le 31 mai 2016, passait à la barre du
tribunal correctionnel de Paris un personnage au profil inhabituel pour un tel
lieu. Christophe Février est en effet un entrepreneur autodidacte,
officiellement à la tête d’un groupe pesant plus de cent millions d’euros, plus
particulièrement connu pour avoir racheté la célèbre marque Backchich.info.
Mais à creuser le profil d’un individu très discret au parcours atypique, rien
de surprenant finalement à le voir dans le box des accusés.
Condamné
en 2015 à un an de prison, 50 000 euros d’amendes et à l’interdiction
d’exercer tout mandat en entreprises pour faux, usage de faux et escroquerie,
Christophe Février a été relaxé au cours de cette audience, faute de preuves
suffisantes de l’intention délictueuse. Pourquoi cette première condamnation
particulièrement sévère ? Qui est Christophe Février ? Il est très
difficile de connaitre avec précision l’étendue exacte des affaires de M.
Février, tant il s’ingénie à brouiller les pistes susceptibles de remonter
jusqu’à lui. Mais une constante demeure : Christophe Février semble transformer
l’or en plomb avec une régularité de métronome. Quasiment toutes les
entreprises ayant eu à subir l’intervention de M. Février ont aujourd’hui
disparues, leurs salariés licenciés et les locaux, vidés de tout ce qui avait
de la valeur, sont à l’abandon. Retour sur un « entrepreneur », qui
apparemment fait surtout travailler Pôle Emploi.
De l’allure et de l’audace
Christophe
Février est à l’aise dans son rôle d’entrepreneur, même à la barre d’un
tribunal correctionnel, cela se sent. Le ton est posé, le discours concis et
précis. L’habitude peut-être de devoir se justifier sur son statut. Il est vrai
que Christophe Février s’est fait tout seul, sans l’étiquette d’une grande
école de commerce. Dirigeant de société depuis ses 24 ans, l’intéressé affirme
être aujourd’hui à la tête d’un conglomérat de plusieurs sociétés, représentant
près de 300 salariés. Il sait bien, comme le veut l’adage, qu’au-delà d’un
certain chiffre, tout le monde devient sérieux. Alors il avance son chiffre
d’affaires sans hésiter : 135 millions d’euros de CA cumulés. Clairement,
M. Février n’est pas un client ordinaire pour un tribunal correctionnel.
On peut
pourtant trouver Christophe Février modeste : si ses chiffres sont
corrects, il « pèse » au bas mot plusieurs dizaines de millions
d’euros, au titre de la valorisation de son groupe par rapport à son CA.
Pourtant, il affirme ne déclarer « que » 86 000 euros annuels au
fisc. Le tribunal tiendrait-il là un exemple de patron
« raisonnable », mesuré dans la rémunération qu’il s’octroie ?
Le tribunal correctionnel de Paris n’aura pas la réponse, et d’ailleurs il ne
s’est pas posé la question, convaincu qu’avec un tel chiffre d’affaires, on ne
s’embarrasse pas d’une escroquerie grossière pour quelques dizaines de milliers
d’euros. Dans les hautes sphères économiques où semble évoluer M. Février, on
ne se salit pas les mains pour des pourboires. Et si tout cela est vrai, la
cour est peut-être même en face d’un self-made comme la France en produit peu.
Illusionniste administratif
Sauf
que rien de ce qui a été dit n’est vérifiable, et que l’intéressé le sait
pertinemment. Il a d’ailleurs tout fait pour qu’il en soit ainsi. Même ses
différentes biographies (ici ou ici) ne sont pas tournées de la même manière. Christophe
Février a poussé l’art du camouflage jusque dans ses derniers
retranchements : dissimulation, confusion, prête-nom, hommes de paille,
sociétés-écrans, boites aux lettres, coquilles vides… tout le vocabulaire des
pratiques économiques « grises » y est passé, selon une méthode qui a
fait ses preuves depuis des années.
L’audience
de ce mois de mai 2016 n’échappe pas à la règle : faute d’avoir pu faire
jouer le vice de procédure, une ficelle un peu grossière pour le procureur, M.
Février se décharge sur un sous-traitant, qu’il l’aurait floué, lui, au même
titre que son client. Le sous-traitant en question, une entreprise
indonésienne, a disparu. Pratique. Des archives sur ce sous-traitant ?
Détruites, lors de la dissolution-confusion en 2012 de la société de M. Février, Groupe
Second Marché, au sein d’OHE (Omega Holding Europa) GmbH, société de droit
allemand, dirigé par un certain Michel Hamon.
C’est
là que les choses se corsent, pour celui qui veut comprendre la petite
mécanique cachée derrière les apparences. Christophe Février évoque bien un
certain « Michel », qu’il refuse de dénoncer, comme le véritable
responsable de cette escroquerie supposée, aux côtés de l’entreprise
indonésienne. Coïncidence ? Peut-être. On notera tout de même que la
société allemande OHE en question a procédé à au moins une autre dissolution-confusion :
celle de la société Eco Services, qui, par un hasard extraordinaire, est sise à
la même adresse qu’une autre société de M. Février : la SCI Montagnes Investissement. La coïncidence est troublante cette
fois, d’autant que l’adresse en question est un immeuble d’habitation. Michel
Hamon a été par ailleurs dirigeant de la société Winsite (société française
cette fois) qui a absorbé, toujours par dissolution-confusion, la société GEO PLC, société qui a eu pour président…
Christophe Février. Bref, le conglomérat de M. Févier semble tourner en circuit
fermé, et les soi-disant partenaires et sous-traitants « étrangers »
pourraient bien, en réalité, tous appartenir de près ou de loin à la galaxie
Février.
Rien
d’illégal pour l’instant, mais une troublante volonté de brouiller les pistes,
car M. Février se garde bien de porter ces éléments à la connaissance de la
Cour. Et peu importe au fond ces éléments qui n’ont été relevés par
personne : M. Février fait surtout valoir qu’un arrangement et une
indemnisation a de toute façon eu lieu avec la partie civile. Pour un « innocent
auto-proclamé », M. Février est tout de même très arrangeant avec les
plaignants. Une façon d’éviter la mauvaise publicité d’un procès ?
Sa réputation comme seul actif de valeur
Dans
l’univers de M. Christophe Février, il n’y a en effet qu’une seule chose qui
tient encore debout : sa réputation d’entrepreneur-sauveur, repreneur de
la dernière chance d’entreprise en difficultés. Mais si les entreprises
concernées ont eu un jour une chance de redressement, c’était avant que M. Février
ne s’en mêle. Toutes les entreprises passées entre les mains de Christophe
Févier sont aujourd’hui, au mieux, en difficultés, au pire, totalement
sinistrées. De la fromagerie Paul Renard à Flogny-la-Chapelle, à Plysorol à
Magenta, en passant par le plâtrier Sort et Chasle à Nantes, Façonnage Mercure
à Roubaix, Tecsom à Glaire, Socratt Ingénierie à Mitry-Compans, Documentis… pas
une PME qui ne soit aujourd’hui au bord de la liquidation ou purement et
simplement disparue. On pourrait ajouter à la liste les TPE Vectamail, Meca
industries, MGN, MPI, Aude Précision, Metal Fab, Méca Pieces… Le tableau de
chasse de Christophe Février tourne au jeu de massacre, et son
« groupe », sur lequel il bâtit d’impressionnants dossiers de reprise
pour les tribunaux de commerce, est majoritairement composé de cadavres
d’entreprises et de carcasses industrielles.
Mais,
si M. Février était bien présent aux côtés de divers préfets venus à chaque « reprise »,
son nom n’apparait plus nulle part le jour des liquidations. Entre-temps, de
changements de siège social en remplacements de gérants, le système Février l’a
mis à l’abri derrière une montagne de procédures, comme seule notre
administration sait en produire. Question de réputation toujours. Dans un monde
économique en perpétuelle accélération, le plus grand allié de Christophe
Février est l’incapacité des tribunaux à vérifier ses dires et ses comptes. S’il
n’y avait pas tant d’emplois et donc de « vies » en jeu, on pourrait
saluer le talent de Christophe Février à se jouer du code des sociétés, en
toute légalité.
Le
problème est que l’histoire n’est pas finie : M. Février est encore
propriétaire, à distance, de plusieurs sociétés loin d’être en bonne santé,
comme Valentin-Thierion à Epernay. Des dizaines de salariés risquent leurs
emplois, pour des motivations qui restent encore à éclaircir : pourquoi
cet acharnement à détruire des entreprises que Christophe Février se propose à
chaque fois de reprendre et de redresser ?
Source : http://bellaciao.org/fr/spip.php?article151063